Dans le numéro du Courrier International du 2 août 2007, Cristina Elizabeth Fernández de Kirchner est présentée comme l’élément de stratégie politique utilisé par le président actuel afin de continuer à gouverner. Extrait du périodique espagnol El País, l’article dresse un portrait critique de celle qui pourrait remporter les élections d’octobre.
ARGENTINE • Les Kirchner, un curieux animal à deux têtes
Miguel Ángel Bastenier
El País
Cristina Fernández, l’épouse de l’actuel président, pourrait bien remporter l’élection présidentielle d’octobre. Reste à savoir si, sous sa direction, l’Argentine serait plus proche de Lula ou de Chávez.
Le ticket Kirchner-Fernández est sans nul doute préférable à “Kirchner et compagnie”, et même au “kirchnérisme”, un concept un peu prématuré malgré l’existence indéniable d’un vrai désir de voir tout cela aboutir à l’édification d’un “kirchnérat”. Cristina Elizabeth Fernández de Kirchner, sénatrice, la cinquantaine séduisante grâce au concours de la chirurgie esthétique, est candidate à la présidence de la République sous la bannière du Parti péroniste. Sa candidature est le premier signe d’une tentative d’occupation à long terme de la tête de l’Etat argentin par un duo politique qui, peut-être, parviendra à rivaliser avec un autre couple historique, celui formé par le colonel Juan Domingo Perón et son épouse, l’ex-actrice et pasionaria des “sans-chemise”, la bien nommée Evita.
Un couple qui pourrait gouverner jusqu’en 2019
Comme le fait remarquer l’analyste hispano-argentin Carlos Malamud, le couple Kirchner aspire à seize ans de gouvernement : le premier mandat de quatre ans, qui s’achèvera en décembre prochain, de Néstor Kirchner, considéré comme le grand artisan de la reprise économique, puis les quatre ans, jusqu’en 2011, que “Cristina”, puisque c’est ainsi qu’on l’appelle en Argentine, pourrait obtenir en cas de victoire le 28 octobre prochain (les sondages la placent nettement en tête), plus quatre années supplémentaires pour l’homme du “facteur K” et encore quatre pour son épouse. A moins d’une réforme constitutionnelle, un nouvel être politique à deux têtes unies par les liens sacrés du mariage ambitionne de gouverner le pays jusqu’en 2019 [le mandat présidentiel est renouvelable une fois]. A cette date, elle n’aura que 66 ans et lui 69 – et ils seront tout sauf des retraités.
Issue de la classe moyenne provinciale, de tendance radicale, avocate, militante de la gauche péroniste, la sénatrice de Buenos Aires a épousé Kirchner en 1975. Ils avaient fréquenté la même faculté de droit et ne tardèrent pas à former une équipe qui s’est révélée jusqu’ici invincible et dont la première victoire fut la province de Santa Cruz, avec lui au poste de gouverneur et elle à la vice-présidence de la Chambre des députés provinciale. Excellente oratrice, elle sait résumer sa vision du monde en quelques expressions techniques mais percutantes : pour la sénatrice Fernández (elle n’utilise jamais son nom d’épouse), la poursuite de l’œuvre de son mari consiste à “institutionnaliser le modèle économique d’accumulation sociale”, ce qui en jargon politique signifie “dirigisme étatique”, et elle exècre le “modèle de transfert et d’exclusion”, c’est-à-dire le néolibéralisme à l’anglo-saxonne.
Cristina présidera pour faire réélire Néstor
Si la candidate accède à la Maison rose [la Casa Rosada, siège de la présidence argentine, située sur la place de Mai], il est fort probable que ses opinions seront soumises à de rudes tensions, provenant de l’extérieur comme de l’intérieur. La crise énergétique obligera à augmenter le prix de l’énergie pour le consommateur, et la lutte contre l’inflation et les conflits que celle-ci pourrait engendrer risqueraient également d’asphyxier les politiques sociales de la présidente. Et, si la générosité d’Hugo Chávez peut d’une façon ou d’une autre remédier à cette situation, le président vénézuélien ne manquera pas d’exiger des contreparties devant lesquelles Kirchner, ne peut se permettre d’apparaître en position de faiblesse et encore moins Cristina, en tant que femme. Après tout, San Martín [général argentin héros des guerres d’indépendance en Amérique latine au XIXe siècle] n’a jamais beaucoup apprécié le Libérateur [Simón Bolívar, son alter ego vénézuélien, idole de Chávez], en qui il ne voyait qu’un frimeur pourri par la gloire. Toutefois, la présidente, plus versée que son époux dans les affaires internationales, pourrait être la personne tout indiquée pour remettre les choses à leur place.
Il se dit en Argentine que, en cas d’accession de Cristina à la présidence, une des solutions pour délimiter le rôle de chacun consisterait à ce que madame la présidente prenne le taureau économique par les cornes, maintenant ainsi Néstor à l’abri de l’usure, pendant que monsieur s’attacherait à fonder un nouveau parti, en marge du péronisme ou se proposant de le rénover. Chacun œuvrerait ainsi à l’avenir de l’autre. Cristina Fernández de Kirchner serait la première présidente élue en Argentine. En effet, María Estela Martínez, la troisième épouse de Perón, avait succédé à son mari [à sa mort, en 1974] en passant par la vice-présidence, poste auquel elle avait accédé sans consultation des électeurs, portée par l’idolâtrie péroniste et la méfiance du général à l’égard de son propre parti.
Que reste-t-il de ce péronisme dans la version contemporaine qu’est Cristina Fernández ? Une social-démocratie européisante et communautaire, peut-être. La gauche latino-américaine se doterait ainsi d’une deuxième présidente, après la Chilienne Michelle Bachelet, et bénéficierait sans aucun doute de solides renforts, venus d’où, on ne sait encore. De Lula ou de Chávez ? C’est un point que M. Kirchner n’a, pour l’heure, pas réussi à clarifier.